En parcourant mes e-mails alors que j’étais en vacances au soleil, je m’attendais à tout, sauf à lire ce mot dans les titres : Bugatti. L’invitation lancée par Bugatti Brussels parlait surtout d’une visite de l’usine et du site historique de la marque. Ce qui est déjà en soi un truc à ne pas rater pour un passionné qui se respecte.
Entre les lignes, ça disait aussi qu’il y avait la possibilité d’une éventualité d’une chance d’une opportunité de conduire une voiture. Alors à votre avis, quand le boss m’a proposé de couvrir cette invitation, qu’ai-je répondu ?
Membre du club
Comment refuser l’occasion d’entrer dans le club très exclusif de ceux qui ont conduit une Bugatti moderne ? Je n’allais pas laisser passer la chance d’inscrire « Bugatti » sur mon CV. Mais je vais être honnête : ce n’était que pour ça. Est-ce que je crevais d’envie d’essayer une Bugatti ? Étais-je tout excité par cette perspective ? Du tout. Et voici pourquoi…
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Que du bling-bling…
Depuis la reprise de la marque par le groupe VW, depuis la présentation de la Veyron, première Bugatti de l’ère allemande, je regardais la marque avec une certaine perplexité. Et même avec condescendance. Je lisais : moteur W16 de 8 litres, plus de 1.000 chevaux, plus de 400 km/h en pointe… Et plus de 1 million d’euros ! Si les autos (hors ancêtres) à plus d’un million sont aujourd’hui presque monnaie courante, en 2005, c’était nouveau.
A la lecture de cet enchaînement de superlatifs, je me disais donc que la Bugatti était à la fois le délire onaniste d’un vieux mégalo (Ferdinand Piëch en l’occurrence), et un coup marketing bling-bling destiné à prendre les sous des joueurs de foot surpayés, des vendeuses de vide trop fortunées (façon Kim K.), des collectionneurs-spéculateurs dépourvus de réelle passion, et de tous ceux qui adorent étaler leur richesse.
Bref, une Bugatti était forcément tout, sauf une vraie, une pure sportive comme l’étaient ses aïeules. D’ailleurs, avec ses 2 tonnes et malgré ses 1.000 bourrins, comment pourrait-elle avoir l’agilité d’une Ferrari ou d’une Porsche ? Poussant le bouchon encore plus loin (1.500 ch et quelque 3 millions d’euros), la Chiron n’avait à priori rien pour changer ma perception.
Donc non, je n’étais pas plus excité que ça. Au mieux, j’allais découvrir une voiture certes très performante – manquerait plus que ça – mais au feeling filtré de grosse GT. Vous savez ce qu’on dit : l’erreur est humaine. Et je suis vachement humain, comme mec !
Jusqu’au jour où…
Petit détour métaphorique. Au début de ma carrière, il y avait un collègue que je ne pouvais pas encadrer. Sais pas pourquoi. Sa tête, son attitude… Et c’était manifestement réciproque. Jusqu’au jour où un essai nous a « forcés » à passer plusieurs heures côte à côte dans une voiture. On a donc vraiment parlé. Ce jour-là est née l’une de mes plus belles et solides amitiés. Juger sans connaître, c’est précisément ce que je faisais avec la Bugatti. Et puis on s’est « parlé »…
Au moment de prendre le volant de la voiture, je suis donc plein de préjugés mais je ne fais pas le fier. Car quand on s’apprête à conduire une auto de 1.500 chevaux qui vaut 3,1 millions avant options et taxes, il y a de quoi être intimidé. D’autant qu’il s’agit de la Chiron Pur Sport, qu’on me décrit comme plus radicale, plus réactive, « un peu comme une 911 GT3 ». Glups. D’autant aussi que je vais conduire sur des routes de la campagne alsacienne, qu’une petite pluie vicieuse rend grasses et glissantes. Re-glups. D’autant enfin que mon passager est « l’essayeur en chef » de Bugatti, à savoir Andy Wallace, 4 fois vainqueur des 24 Heures du Mans, la dernière personne aux yeux de qui on a envie d’être ridicule. Re-re-glups. Mais bon, quand faut y aller…
Dans ma face
La première surprise me tombe dessus avant même que le moteur ne tourne. Même à l’arrêt, la Chiron Pur Sport dégage déjà quelque chose de pur. C’est pas du tout le feeling d’une GT cossue, ça !
Bien sûr, c’est luxueux. Il y a du cuir et de l’alcantara partout, du carbone aussi. Mais l’intérieur est relativement dépouillé, et c’est surtout une question de contact physique. Tout est compact, « resserré ». On ressent immédiatement la précision, et c’est la première émotion que me communique la voiture.
Deuxième émotion : le W16 démarre. Impossible de ne pas sourire. Mais le sourire se crispe au moment de passer la première. Bon, jusque-là, ça va : la Bugatti se met en mouvement tout en douceur, pas une once de brutalité dans l’engagement de la boîte, ni dans ses premiers passages de rapports. A la sortie du domaine, il faut se lancer dans le trafic puisque l’usine est pratiquement dans la ville.
Nouvelle surprise : aucun stress, aucune peur. D’abord parce que j’ai déjà compris que même si je dois m’élancer précipitamment dans un « trou », la Bugatti restera cool, sous contrôle. Et surtout parce que la visibilité depuis le volant est exceptionnelle pour une voiture aussi basse. Ça met en confiance. Et donc, le trafic. Ça se passe à merveille. La voiture est docile, facile à appréhender, y compris au niveau de ses dimensions. Je ne pense plus aux 3 millions. Docile mais déjà pleine de caractère. Elle transmet la route par le volant, par le siège. Et elle se transmet elle-même par la précision des pédales. J’y reviendrai.
Nouvelles surprises. D’abord une vraie : même sur les mauvaises routes, pas un bruit parasite, pas un couinement. Vous direz qu’à ce prix-là… Mais c’est pourtant la première fois que je n’entends rien de ce genre dans une voiture entièrement faite en carbone. C’est exceptionnel. L’autre est une demi-surprise : bien qu’on ressente clairement la rigidité sportive des suspensions, le confort est préservé à un niveau suffisant pour s’imaginer tous les jours au volant de la Bugatti. Mais ça, c’est déjà le cas dans les McLaren.
La ville est derrière nous. Devant, ce sont les petites routes, les virages, le moment de vraiment voir. Mais rappelez-vous : 1.500 chevaux, la pluie, le sol gras… Alors oui, j’y vais, je monte le tempo, mais sans aller au-delà d’où je me sens à l’aise. Juste de quoi sentir quand le train avant montre un début de signe de glissade éventuelle, juste de quoi constater que la puissance ne passe pas tout à fait au sol quand je relance en sortie de virage.
Bref, j’avance, sans traîner, mais sans me faire peur. Et j’ai le sentiment que ma vitesse sur ces petites routes est parfaitement raisonnable. Puis je regarde le compteur pour la première fois. Ah… En fait, cette vitesse raisonnable me vaudrait un retrait de permis si je la pratiquais… sur autoroute.
Là, j’hallucine complètement. Je ne force même pas ! Et quand ça glisse dans un virage serré, quand le train arrière fait mine de vouloir danser, c’est à peine, comme un clin d’œil. À 150 A L’HEURE !!! Mais ce n’est pas le plus important. Qu’une Bugatti soit rapide et qu’elle tienne le pavé, on pouvait s’y attendre.
Ce qui me fait littéralement exploser le cerveau, c’est à quel point elle est facile à comprendre et à contrôler. C’est à quel point elle est agile. 1.945 kilos, vraiment !? J’aurais dit moins de 1.500. C’est à quel point elle communique.
Rien qu’un truc, par exemple : la pédale de frein. Jamais eu un touché pareil. Précise et communicative dès le premier millimètre de poussée. La métaphore vaut ce qu’elle vaut, mais c’est comme un très bon frein… de vélo. Sensations, émotions, plaisir : j’en prends plein la face, et je suis tellement ravi de ravaler mes préjugés ! Mais il reste la cerise sur le gâteau…
Vas-y !
Pendant tout l’essai, Wallace ne cessait de me motiver à y aller un peu plus fort. Il semblait plus déçu que moi des conditions météo. C’est lui qui m’encourage à cravacher pour de bon quand on prend une portion d’autoroute.
Là, le petit compteur qui révèle la puissance utilisée indiquera 1.200 chevaux. Et non, vous n’imaginez pas comment ça pousse. Vers la fin de l’essai, alors que nous sommes sur des nationales parsemées de ronds-points, à quelques centaines de mètres du retour à l’usine, c’est encore Wallace qui bondit sur son siège, scrute le sol et me dit en substance : « Ici ! C’est sec ! Vas-y, fais demi-tour, on va refaire quelques aller-retour. Avec un peu de chance, on sera tous seuls sur une ligne droite entre deux ronds-points ».
Euh, OK… Vous ai-je dit que dans la région de Molsheim, Bugatti est une telle fierté nationale que la police est parfaitement bienveillante ? Bref, je fais comme il dit. Un rond-point, puis deux, puis demi-tour, puis on recommence. Wallace : « Voilà, demi-tour ici, on n’aura personne. Dans le rond-point, tu passes en première. T’inquiète, la boîte passera les rapports. Dès la sortie du rond-point, dès que c’est presque la ligne droite, pied au plancher. Mais vraiment, OK ? »
Ça tourne, ça tourne, je redresse… J’envoie ! Oh pu… !!! On a beau avoir une certaine habitude des supercars, là, c’est un autre univers. Une autre dimension. Pendant quelques secondes, je ne sais même pas ce qui m’arrive. Je suis ultra concentré pour rouler droit.
Le plus fou est que ça roule remarquablement droit, malgré les quelques « taches » d’humidité qui restent çà et là. On sent les quatre roues transmettre la puissance au sol. On en sent de temps en temps une décrocher, une minuscule fraction de seconde, on sent la caisse dévier un tout petit peu puis reprendre aussitôt sa trajectoire. Ça va vite, très vite. A combien ? Aucune idée, trop concentré pour regarder le compteur. Je crois que je suis resté « pied dedans » pendant 4 ou 5 secondes. Le temps qu’il faut à la Chiron Pur Sport pour exécuter le 0 à… 200 km/h. Sauf qu’on n’était pas partis de zéro.
Tout ce que je sais, c’est qu’il faut freiner, maintenant. Parce qu’il y a la file au rond-point suivant. Le dernier de cette file, qui me voyait arriver dans le rétro de sa Renault Zoé, a dû mouiller un peu son siège, se dire que ça allait taper sévère. Je me le suis dit aussi, d’ailleurs. Mais non. Les freins sont évidemment à la hauteur du reste. Pendant ce long freinage à bloc, la voiture dandine à nouveau au gré de plaques humides. Mais rien de terrifiant.
Après cet exercice, le petit compteur de puissance utilisée indiquait 1.504 chevaux ! En voyant ça, Wallace me lance « Yes, on l’a fait ! Bien joué, mec ! », le tout accompagné d’un « high five ». Pendant tout ce temps, il était parfaitement zen, confiant dans les capacités de la machine… et apparemment dans les miennes.
Quand je me gare à côté du château Bugatti et que je descends (ou plutôt que je remonte) de voiture, j’ai les jambes molles. Comme après une autre expérience physique extrêmement satisfaisante qu’on réalise normalement à deux, si vous voyez ce que je veux dire. La Bugatti Chiron Pur Sport dont je n’attendais pas grand-chose s’est avérée être la sportive la plus sensationnelle que j’ai conduite. Ma plus grande extase (et je pèse mes mots) automobile, surclassant de loin la McLaren 675 LT qui avait ce titre jusque-là.
Après ça, je me dis « et maintenant, que vais-je faire… pour espérer revivre ça ? » Je n’aurai jamais 3 millions et à l’ère de l’électrification, cette voiture est très certainement la dernière de son genre. Le constat est cruel : JAMAIS je ne revivrai ça…
Conclusion
Entre l’incroyable ingénierie et le soin ahurissant de la construction, on comprend chaque euro facturé pour une Bugatti. Ce qu’on ne comprend pas, c’est que tant de propriétaires ne conduisent pas la sportive la plus prodigieuse de l’histoire. (Petite) bande d’idiots…
Bugatti Chiron Pur Sport : fiche technique
Moteur : W16, essence, 4 turbos, 3.996cc ; 1.500ch à 6.700tr/min ; 1.600Nm de 2.000 à 6.000 tr/min.
Transmission : aux 4 roues.
Boîte : double-embrayage 7 rapports.
L/l/h (mm) : 4.544/2.038/1.318
Poids à vide (kg) : 1.945
Volume du coffre (l) : 120
Réservoir (l) : 100
0 à 100 km/h (sec.) : 2,3
Prix : 3.100.000 € HTVA
Puissance : 1.500 ch
V-max : 350 km/h
Conso. mixte : 22,5 l/100km
CO2 : 572 g/km
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