Le petit dernier est une petite dernière. Elle s’appelle C8 et elle vient d’une famille de voitures de sport née en 1954. Depuis cette époque, elle n’a jamais dérogé à sa tradition : un long capot devant, un gros moteur sous ce capot, et les places assises repoussées vers l’arrière. C’est comme ça qu’on fait depuis 50 ans, et y a pas de raison que ça change. « Ah bon ? », dit la petite C8. « Tu vas voir ! »
Dieu sait que nous, dans la presse automobile, et en particulier en cette ère d’électrification, nous avons tendance à regarder en arrière et à nous dire que les bagnoles, avant, c’était quand-même autre chose. Une petite nuance : c’est surtout vrai quand il s’agit de voiture passion. On n’aime pas l’électrification, de la même manière qu’on n’a pas aimé la généralisation du turbo, la disparition progressive de la boîte manuelle, l’arrivée du pot catalytique, la multiplication des aides à la conduite, les normes de sécurité qui ont alourdi les voitures…
On doit bien le dire : même quand il a moins de 30 ans, le journaliste auto vraiment passionné a des attitudes de vieux con. Mea culpa : c’est vrai, nous sommes parfois plus traditionnalistes qu’une congrégation religieuse du fin fonds du sud des USA. Et les USA, parlons-en, justement. Quand sont tombées, il y a genre un an déjà, les premières infos sur une nouvelle Corvette à moteur central, la première phrase qui nous est venue est « Mais c’est plus une Corvette, alors ! C’est nul ! Mais quelle idée ! ». Comme si la Corvette avait toujours été une voiture prodigieuse, et qu’il ne fallait surtout rien changer…
Lapin blanc
Car en fait, non, la Corvette n’a pas toujours été une voiture prodigieuse. Loin s’en faut. Elle ne l’était pas à sa naissance, puisque son petit 6 cylindres 115ch avait bien du mal à fournir des performances sportives. La Corvette était supposée être la première voiture de sport américaine et devait rivaliser sur ses propres terres avec les petites européennes (Triumph, MG, Alfa, etc.) qui étaient alors très populaires. Raté.
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Ce n’est qu’un an plus tard qu’elle est devenue prodigieuse, quand on lui a greffé un premier V8 4,3 litres de presque 200 chevaux. Là, les perfs devenaient sérieuses. Et ce n’était que le début, puisque la première Corvette annonçait 360 chevaux en 1963, au moment de passer le relais à la seconde, la spectaculaire C2, qui a inauguré l’appellation Stingray. Et la petite a perpétué ce qui va devenir une tradition familiale : encore plus de cylindrée, encore plus de puissance. Jusqu’à 7 litres et 430 chevaux ! Puissance officielle en tout cas, mais certains à l’époque disaient que c’était beaucoup plus, parlant de quelque 560 unités. En 1966 !
Là, oui, la Corvette était prodigieuse. Ce n’était plus aux MG qu’elle se mesurait, mais aux Ferrari. Avec déjà son atout majeur : un prix très, très inférieur. Mais après, ça se gâte. A sa naissance en 1968, la C3 est une légère évolution de la C2. Sauf qu’entre-temps, les sportives européennes sont allées de l’avant, ont adopté de nouvelles techniques. Pas la Corvette, prisonnière d’une certaine suffisance de l‘industrie automobile américaine, trop sûre d’elle pour se remettre en question.
La Corvette stagne. Pire, elle va régresser quand frappe le premier choc pétrolier, et les nouvelles réglementations qu’il induit.
En quelques années, son V8 5,7 litres dégringole à… 167 chevaux dans sa version de base, à peine plus de 200 dans le haut de gamme. Grandeur et décadence : l’ancienne anti-Ferrari se classe derrière une Porsche 924 et une Mazda RX-7 dans un comparatif d’un magazine américain. Ca fait mal !
En 1984, la Corvette C4 se réveille. Elle retrouve les chevaux et tue le 0 à 100 km/h en moins de 5 secondes. Pas mal. Mais dès que se pointent les virages, plus personne !
La Corvette est comme le lapin blanc d’Alice au Pays des Merveilles : très en retard sur la concurrence.
La C5 fait un pas dans la bonne direction en adoptant l’architecture Transaxle (moteur à l’avant, boîte de vitesses à l’arrière pour une bonne répartition des masses). Mais ça fait plus de 10 ans que la concurrence connait le truc. Bref, la Corvette s’améliore, lentement.
Elle comprend que sans un bon châssis, son gros moteur ne sert qu’à accélérer tout droit. C6 et C7 marquent encore de réelles progressions. Cette dernière est même très, très convaincante. Mais quand à la question « Si on te la donne, tu prends une Porsche ou une Corvette ? », personne ne répond Corvette.
Tout ça pour dire que si la tradition Corvette se traduit par des débuts en fanfare, suivis d’une accumulation de retards techniques qu’elle a mis des décennies à rattraper, qu’y a-t-il vraiment à regretter ? Et pourquoi ne pas carrément tout mettre sens dessus-dessous !?
Mieux vaut tard…
Notez que cette fois encore, la Corvette arrive un peu sur le tard. De fait, le moteur central qu’elle adopte aujourd’hui, architecture unanimement reconnue comme idéale pour les voitures de sport, a été adoptée par Ferrari depuis les années 70, et avait été lancée sur les routes par la Lamborghini Miura dans les années 60. Mais trêve d’ironie : mieux vaut tard que jamais, d’autant que dès sa première expérience avec le moteur central, la Corvette met dans le mille !
A notre humble avis, son seul point faible, c’est son look. Jusqu’à présent c’était au contraire un de ses arguments. Elle avait de la gueule, sans être too much. Et avec son attitude très américaine, elle assumait une certaine différence. Là, en adoptant le concept de McLaren ou Ferrari, elle en adopte aussi la silhouette générale, très uniformisé. Et elle emballe ça d’un design que nous trouvons vraiment torturé. Mais bon, ce n’est qu’une question de goût.
Ambiance
L’habitacle est en revanche le premier ancien point faible qui n’en est plus un. Dans les dernières générations, l’habitacle Corvette hésitait entre sportivité et luxe à l’américaine (fait d’opulence et d’un peu de rococo), sans réussir à trouver un bel équilibre comme le font Porsche, Jaguar ou Ferrari. Cette fois, plus d’hésitation : on prend le parti de la sportivité, et ça marche. Et non seulement ça marche, mais l’approche plus épurée renforce l’impression de luxe. Perception européenne de la chose, peut-être. Mais pas seulement, car le fait est que la qualité des matériaux et de la fabrication fait un gros bond en avant.
Pour ce qui est de l’équipement, on reste heureusement dans la tradition américaine de générosité. Il n’y que peu d’options, et on est déjà servi, y compris en bidules électroniques multimédia ou de sécurité, dès le modèle de base. Et on note que la C8 ne renonce pas non plus à son âme de sportive pratique au quotidien, puisque c’est l’une des rares « moteur central » à conserver un coffre à l’arrière, assez grand pour deux sacs de golf. Entre celui-là et celui de l’avant, on a quelque 360 litres, presqu’autant que dans la C7 !
Affûtée
C’est enfin le moment de parler de la route. Route avec laquelle on se sent en contact direct, à la faveur de la position très avancée du poste de conduite qu’implique la nouvelle architecture de la Corvette. On est vraiment tout de suite et en permanence dans le bain. Un vrai plaisir ! Dans le dos, on a donc un V8 à l’ancienne, puisqu’il cube gros (6,2 litres) et respire naturellement. Il annonce 482 chevaux et 613 Nm – on est donc loin des 600 chevaux minimum des autres modèles du genre – envoyés aux roues arrière via une toute nouvelle boîte auto double-embrayage 8 rapports, une première pour la Corvette.
C’est notre premier coup de chapeau : qu’on conduise à l’aise ou qu’on attaque comme un fou, qu’on la laisse faire ou qu’on joue des palettes au volant, cette boîte est parfaite. Y a pas d’autre mot ! Elle vaut donc largement une PDK de Porsche.
Le moteur ? Du fait qu’il n’ait pas de turbo, il n’a pas la violence habituelle qu’on connait. Le couple maxi, par exemple, est assez perché, mais une bonne partie déboule vers 2.000 tours. Après, ça pousse fort et longtemps. On aurait juste peut-être aimé une sonorité plus « préhistorique ». Plus amerloque, quoi ! Cela étant, c’est du moulin mémorable quand-même. Mais qu’une Corvette ait un bon moteur, rien d’étonnant. La suite, par contre…
Un rêve
C’est dans une région vallonnée d’Allemagne, par une météo capricieuse est des routes sinueuses parfois très glissantes, que nous avons découvert la Corvette. On n’aurait pas pu rêver mieux ! Car si cela ne nous a pas permis de voir où étaient ses limites extrêmes sur routes sèches, cela nous a en revanche permis de voir à quel point cette voiture est aboutie. Son sens de la communication est totalement remarquable. Et elle est précise d’un bout à l’autre. Incisive du train avant, équilibrée, facile à comprendre donc à faire danser, docile… Jamais une Corvette (jamais une Américaine d’ailleurs) n’a été plus concentrée sur sa mission ! Jamais une Corvette n’a été aussi prête à se mesurer sans le moindre complexe à ses rivales européennes. Tiens, mais justement : quelles européennes ?
Victoire par KO tarifaire
Malgré son allure et son moteur central, on aura compris que la Corvette ne va pas attaquer McLaren, Ferrari ou Lamborghini. Du moins pas tout de suite car la version Z06, traditionnellement bien plus méchante, est déjà annoncée. Et si elle arrive avec plus de 600 chevaux, il y aura match. Mais là, sa rivale la plus directe est aussi une sportive confortable et pratique au quotidien. C’est même l’archétype du genre : la 911.
Si on compare les puissances et les performances, on est plus précisément face à la 911 Carrera S. C’est vrai, la 911 a une aura autrement plus radieuse. Et elle a deux petites places arrière que la Corvette n’a pas. Mais ce que la 911 Carrera S a aussi de plus, c’est 40.000 euros. Oui, c’est la différence entre la Corvette qui démarre à 80.000, et la Carrera S qui démarre à 120.000 euros. Et la différence est encore de 20.000 euros avec une Carrera de base, 100 chevaux moins puissante que la Corvette. Ou encore de 15.000 euros avec une Jaguar F-Type 450ch.
Bref, il n’y a plus aucune logique. Avant, on achetait éventuellement une Corvette parce qu’elle était moins chère pour autant de puissance, tout en sachant qu’elle était aussi franchement moins bien en comportement, en sensations, en qualité.
Mais voilà que maintenant, c’est la moins chère, tout en était peut-être bien la meilleure. Ma tête explose. Mais il y a quand-même un problème. Maintenant que nous vous avons bien donné envie, la mauvaise nouvelle : en Belgique, il n’y a NULLE PART où acheter une Corvette. Selon votre lieu de résidence, le concessionnaire le plus proche sera à Lille, Bertrange ou Luxembourg.
Conclusion
Joli paradoxe que celui de la Corvette. En tournant le dos à ses traditions, elle a retrouvé son âme. Celle d’une voiture capable d’affronter le gratin de la sportive, avec les mêmes qualités, pour une fraction de leur prix. Vive la révolution !
Corvette C8 Stingray : fiche technique
Moteur : V8, essence, atmosphérique, 6.162cc ; 482ch à 6.450 tr/min ; 613Nm à 4.500 tr/min
Transmission : aux roues arrière.
Boîte : double embrayage 8 rapports.
L/l/h (mm) : 4.634/1.934/1.235
Poids à vide (kg) : 1.730
Volume du coffre (l) : 357
Réservoir (l) : 70
0 à 100 km/h (sec.) : 3,5
Prix : 80.360 € TVAC
V-max : 296 km/h
Conso. mixte : 12,1 l/100km
CO2 : 277 g/km
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